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Se taire pour faire émerger le  » SUJET « 


Le silence dont il va être question dans cet article s’inscrit dans le contexte d’une clinique avec une éthique psychanalytique. Cette clinique novatrice s’est mise en place pour moi au cours des années, grâce à plusieurs formations, supervision et à une psychanalyse personnelle. Elle n’est en rien un dispositif qui impliquerait un retour d’expériences.

Le silence est un pan d’une position éthique psychanalytique. Il ne se sépare pas des autres pans de la toile de fond d’une position éthique psychanalytique que je pratique en tant qu’orthophoniste dans les séances. Et  je vais, comme je l’ai fait dans mon livre[1], les expliciter.

Le premier pan est que l’orthophoniste a changé de position. Ce basculement consiste à laisser de côté les techniques de rééducation, les savoirs faire en articulation, en langage. L’orthophoniste que nous écrirons dorénavant l’orthophoniste les dépose, comme s’il déposait les armes. Il se met dans la position de ne rien savoir. Sa priorité est d’être ouverte à un autre « savoir », le savoir conscient et inconscient du patient qu’il a devant lui.

Mais alors que deviennent les techniques orthophoniques ? Elles seront utilisées plus tard après avoir été à l’écoute du savoir que dit l’enfant.

Le mot « écoute » est très vulgarisé aujourd’hui. Il convient de préciser alors ce que l’orthophoniste écoute : « je suis dyslexique, on m’a diagnostiqué en sixième c’est pour cela que je … ». Ce ne sont pas ces phrases tous faîtes, répétés à tout nouveau professionnel rencontré qui présentent un intérêt. Ce qui intéresse l’orthophoniste c’est ce qui se glisse dans les interstices du langage du patient, ses hésitations, ses lapsus, ses balbutiements, ce qui n’est pas habituel.

Michel, neuf ans, vient pour un bilan. Quand je lui demande de se présenter, il écorche son nom de famille tout en regardant sa mère pour y chercher un secours qu’elle lui donne d’ailleurs. Ce balbutiement sur le nom de famille, je le note car c’est inhabituel, cela a surgi à l’insu de l’enfant.

Ecouter donc de façon ciblée, mais aussi regarder, regarder les expressions du corps, porteuses d’informations.

Karim, dix ans, regarde sa mère suppliant car il ne connait pas l’adresse de sa maison. L’orthophoniste suit[2] le sujet à la trace. L’ensemble des éléments glanés, va lui permettre détisser une première approche de chaque patient, en tant qu’être unique.

S’il y a un domaine où l’orthophoniste est actif, c’est en devenant un secrétaire. L’ orthophoniste dit à l’enfant « je fais le secrétaire » c’est-à-dire qu’il note exactement ce que l’enfant dit – avec les erreurs morphosyntaxiques s’il y en a- et le relit à voix haute. Il fait le secrétaire au sens où le définit J. Allouch comme un être « privé de sa volonté comme de ses affections, fils de l’obéissance et de la servitude et qui sait distinguer chez qui il sert, la demande du désir[3]. »

L’orthophoniste est aussi dans une attitude de lâcher prise au sens où il ne s’attache pas affectivement à son patient, il ne s’attache pas à le garder un certain nombre de séances, il s’imagine toujours que la présente séance peut être la dernière, laissant ainsi libre le sujet d’arrêter ou de continuer. Il ne donne jamais de conseils, ni à l’enfant ni aux parents, car il a expérimenté combien donner des conseils était d’une grande inefficacité. Il ne cherche pas à induire non plus une réponse ou à l’insinuer. Il est dans une neutralité.

Changer de position, écouter, regarder, faire le secrétaire, être dans le lâcher prise, sont les pans de la clinique novatrice dans lequel va s’inscrire le silence. C’est dans cette trame de travail thérapeutique, telle que nous venons de l’expliciter, quel silence va trouver toute sa place et son sens.

Le silence est porteur d’une mise en mouvement du sujet lest très présent dans les séances dorthophonie, il ne fait pas peur à l’orthophoniste. Au contraire c’est « un compagnon », un outil à manier avec adaptabilité. Il émaille la séance. Nous allons l’illustrer par quatre situations.

Lors du premier entretien, lorsqu’on demande à l’enfant quelques renseignements sur lui, le silence peut arriver de façon fortuite, car ce dernier ne sait pas répondre. Il ne connaît pas par exemple le nom de sa maîtresse. On laisse le silence s’installer. On ne prend pas la parole pour aider l’enfant sur sa difficulté. L’aide, l’induction n’ont pas leur place. Mais plutôt dans ce temps de silence, elle regarde comment l’enfant se comporte : s’interroge-t-il? Cherche-t-il de l’aide ? A-t-il une stratégie ?

Le silence est acteur pour questionner l’enfant sur ce qu’il peut dire de lui, sur ce qu’il sait. Il n’est pas présent pour mettre l’enfant en difficulté.

Que se passe-t-il dans la tête de l’orthophoniste ?Dans le silence l’orthophoniste ne se dit pas :« ah ! J’espère qu’il va trouver le nom de sa maîtresse ! »Non, quand le silence est rompu par l’enfant par une réponse adéquate ou inadaptée, il ne dira rien, restera sur cette attitude neutre, sans affect.

En début de séance

En début d’une séance, l’orthophoniste demande toujours : « où en était-on la semaine dernière ? »

Le silence peut être alors présent avant la réponse de l’enfant. L’allongement de ce temps de silence pousse l’enfant à rechercher dans sa tête, à se concentrer et à retrouver des bribes de la séance précédente. Après les vacances de Pâques, Karim ne se souvient pas du tout de ce qu’on avait fait avant les vacances. L’orthophoniste lui demande de réfléchir un peu et maintient une pression silencieuse, une ou deux minutes. « Ah le jeu des familles, y avait des animaux, des familles. Est-ce que tu as la mère chat ? » Le souvenir est donc bien prégnant. C’est le temps de silence associé à mon attitude qui lui a permis de le retrouver. Si ce travail peut être interprété comme un travail de mémorisation, c’est aussi une façon de regarder à quel degré l’enfant s’est impliqué dans le travail.

Sur un point technique

Le silence n’est pas là pour obtenir une évaluation des connaissances de l’enfant, mais pour voir ce qu’il peut dire, ce qu’il peut expliquer, à son propre avis.

Prenons un exemple : l’enfant a écrit «laisse pour laisse»

Et alors ? dit l’orthophoniste.

Après un temps de silence, il ajoute : « il fallait mettre deux [s] après le [i]  »

Ah pourquoi ? répond l’orthophoniste

Parce que le [i] est une consonne. L’orthophoniste fait le secrétaire  écrit et répète « parce que le [i] est une consonne ».

Ce « dit » va amener à poser d’autres questions et d’autres réponses

– Oui, tu connais les consonnes ? demande l’orthophoniste

– Oui je crois qu’il y en a cinq : [a, e, i, o, u] 

– Connais-tu un autre groupe de lettres ou pas plus ?

L’enfant marque un temps de silence

– Il y en a un autre mais je ne me rappelle plus

– Est-ce que tu aimerais les connaître ou cela ne t’intéresse pas ?

-Euh ! L’orthophoniste perçoit qu’il n’a pas envie.

Entendre sa réponse laisse l’orthophoniste indifférente. Elle suit simplement. Il lui importe peu qu’il ait envie ou non d’apprendre cette catégorie de lettres. Il lui précise alors simplement qu’il est nécessaire de mettre deux [s], sans expliquer la règle puisqu’ il ne le souhaite pas. Dans cet extrait de séance, des espaces de silence ont existé.

La « trouvaille »

Après des années de travail, l’orthophoniste a mis en place une « trouvaille ». Le temps d’une séance est divisé en deux : un quart d’heure pour l’enfant, un quart d’heure pour l’orthophoniste. C’est le hasard qui décide qui commence. Dans son temps, l’orthophoniste proposera un travail technique. Dans son temps, l’enfant fera ce qu’il désire : un jeu, un dessin, un jeu à l’ordinateur, un puzzle, jouer aux voitures, rien. Ce choix se fait dans le silence, l’orthophoniste attend de façon désintéressée qu’il fasse son choix.

C’est parce que l’orthophoniste est dans cette neutralité, dans ce désir de laisser place à l’autre- en l’occurrence l’enfant – que le silence va devenir un espace où ce dernier va pouvoir oser, choisir, dire, se lancer, déposer quelque chose, se mettre « au travail », construire des hypothèses provenant de lui. C’est dans les temps de silence l’orthophoniste se retire -voire se met en position d’objet – que l’enfant va prendre une position subjective.

Dans le cadre de cette prise en charge, l’approche du silence peut s’appréhender des deux côtés :du côté de l’orthophoniste, le silence n’est en rien une démission ou une absence. Il n’est pas un vide. Il est un acte que pose l’orthophoniste, dans le souci de laisser place à l’autre. En ce sens on s’approche de la définition de Sylvie Le Poulichet : « Le silence de l’analyste se produit en acte dans la mesure où son silence fait place à l’Autre [4]». Du côté de l’enfant, c’est dans le silence que quelque chose advint de lui en tant que sujet[5] et nous pourrions alors suivre la définition de X.  Audouard : « le silence est le noyau actif de la parole [6] »

Genevieve ALLIER


[1]ALLIER,G.Clinique orthophonique avec éthique psychanalytique, L’Harmattan, 2020

[2] Verbe suivre au présent de l’indicatif

[3]ALLOUCH,J.Le sujet avec son secrétaire, école lacanienne de psychanalyse. http//www.jeanAllouch.com

[4]LE POULICHET ,S « l’effraction du silence »,In J.D. Nasio (dir) Le silence en psychanalyse.Paris : Petite Bibliothèque Payot, 2001, p.147

[5] Le concept de sujet est un très complexe et ne peut être défini en une phrase.

[6] AUDOUARD, X « le silence : un « plus de parole », In J.D. Nasio(dir) Le silence en psychanalyse. Paris : Petite Bibliothèque Payot, 2001, p. 174

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