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Brève 53 : Quelles hypothèses sous-tendent la prise en charge de Lisa ? (Brève 52)

  • Même si aucun élément concret des raisons du « placement » de cette petite fille, n’a été évoqué par la gardienne, l’hypothèse de l’existence de raisons sérieuses qui a amené un juge à ce placement est une réalité. La prise en charge se devait d’être souple au niveau du cadre.  J’ai abandonné tout travail sur le langage, refusé par l’enfant. J’ai choisi alors de passer trois, quatre séances à observer Lisa, les jeux qu’elle prenait. Cette observation m’a amenée à lui proposer des jeux de la toute petite enfance afin d’observer silencieusement ceux qui susciteraient du plaisir chez Lisa. Le plaisir manifesté indiquait que l’enfant en était encore à cette étape et ne l’avait pas encore dépassé. Il fallait donc jouer à ce niveau tant que l’enfant le souhaitait. Il fallait partir – comme toujours – de « là où en était l’enfant ». Parallèlement, face au comportement de refus ou à l’attitude de domination qu’exerçait Lisa sur moi -même, je me suis opposée discrètement mais sûrement, refusant d’obéir à ses dictats, refusant d’être niée en tant que personne. Mon hypothèse de travail – qui me guidait alors – était qu’inconsciemment l’enfant mettait le thérapeute dans la position où il avait été lui-même avec son ou ses parents. Lisa me faisait subir ce qu’elle avait elle – même vécu. En me positionnant comme non niée, non dominée, je montrai indirectement à l’enfant que cette position n’était pas de l’ordre du supportable et qu’un autre positionnement était possible. Cette double attitude de me mettre « là où en était l’enfant » et de positionnement clair, a permis petit à petit- en six mois- la disparition du jargon. Ce jargon était un symptôme, au sens il était un signe de quelque chose qui ne va pas. Que dire en quelques mots du concept de symptôme ? « Médicalement le symptôme est défini comme un signe tenant lieu de lien et de représentation entre deux éléments, l’un, le symptôme connu, visible, effet d’un autre, inconnu, invisible »[1]. Et pour Freud, « un symptôme se forme à titre de substitution à la place de quelque chose qui n’a pas réussi à se manifester au – dehors. Certains processus psychiques n’ayant pas pu se développer normalement, de façon à arriver jusqu’à la conscience, ont donné lieu à un symptôme névrotique. »[2] De quels processus psychiques provenaient ce jargon ? Impossible d’y répondre rapidement. La difficulté de la relation à l’autre a peut-être participé à la création de ce symptôme : un jargon.  

Lorsque le langage fut compréhensible, les troubles techniques se sont alors entendus : non existence du point d’articulation pour F/V, retard de parole sur le TR devenant KR. Face à une enfant apaisée, le travail  technique d’orthophonie fut alors possible.  

Cette demande d’orthophonie était bien adressée puisqu’il s’agissait d’un trouble du langage. Mais cette prise en charge devait être singulière, faire des détours, nécessitait des observations, des positionnements face aux messages envoyées par Lisa. C’est ce suivi pour ma part, de Lisa « à la trace » qui lui a permis d’atteindre un langage compréhensible et dénué de déformations.


[1] « Le symptôme dans tous ses états » Dominique NOEL, Figures de la psychanalyse, Cairn Info, 2010/I (n° 19) p.131 -140

[2] FREUD, Introduction à la psychanalyse, pbp,1976, p. 261

1 commentaire pour “Brève 53 : Quelles hypothèses sous-tendent la prise en charge de Lisa ? (Brève 52)”

  1. Anne-Marie Fernez Remacle

    A propos du jargon
    Deux éléments d’observation me semblent importants pour supporter une hypothèse concernant les troubles de Lisa :
    – Le fait qu’elle articule le prénom de sa « gardienne » : quand il y a une adresse, du langage prend forme
    – La présence repérable d’une mélodie à valeur syntaxique : cela correspond à un moment de l’évolution de l’acquisition de la langue.
    On peut donc faire l’hypothèse qu’il y a un arrêt évolutif lié à l’histoire de cette enfant, et particulièrement à la possible rupture du lien. On manque de repères d’anamnèse, comme souvent dans le cas d’enfants placés, mais si on s’appuie sur les connaissances que l’on a quant aux conditions psychiques d’appropriation de la langue, on peut supposer que ce qui a conduit au placement et le placement lui-même impliquent cette perturbation et/ou cette rupture du lien dans le moment de ce que Lacan appelle « lalangue », soit, pour dire vite, le moment où la langue privée (auquel peut s’apparenter le « jargon ») qui a cours entre la figure maternelle et l’enfant devient communicable par la symbolisation causée par le processus de séparation.
    La nomination articulée du prénom de la gardienne permet aussi de faire l’hypothèse d’une reprise évolutive possible si on se met en position d’être une adresse pour cette enfant.
    C’est ce qui se passe me semble-t-il dans ce qui est décrit de ce travail :ne pas forcer une position défensive protectrice qui se manifeste pas des refus et une opposition, observer ce qui suscite intérêt et plaisir: c’est le point à partir duquel les obstacles évolutifs vont pouvoir être levés, et en effet ce qui est alors privilégié est caractéristique du moment dans lequel cette enfant est arrêtée (jeux sensori moteurs, permanence de l’objet, passage à la représentation…).Dans le même temps, le praticien ne donne pas prise à ce qui pourrait se répéter des perturbations du lien tendant à faire d’elle un objet soumis au caprice de l’autre et se positionne clairement et sereinement dans son désir d’être respectée, c’est-à-dire « séparée » ; c’est la condition pour que l’évolution ne se fasse pas dans un enjeu prioritairement « affectif » de plaisir partagé.
    Ce travail me semble exemplaire de ce que peut être un suivi orthophonique éclairé par l’apport de la psychopathologie et des conditions psychiques d’appropriation de la langue.

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